Traite les névromes et névralgies

Douleurs neuropathiques

08/02/2011 10:23

Auteur(s) : Nadine Attal

Centre d'évaluation et de traitement de la douleur, Unité Inserm U 792, Hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt

 

Pour la pratique on retiendra

Toute lésion du système nerveux périphérique (polyneuropathie du diabète, douleur post-zostérienne, lésion nerveuse postchirurgicale, etc.) ou central (accident vasculaire cérébral, traumatismes médullaires, sclérose en plaques, etc.) peut générer des douleurs neuropathiques. La prévalence des douleurs ayant des caractéristiques neuropathiques est estimée à 6,9 % en population générale en France. Un score ≥ 4/10 au questionnaire diagnostique DN4 (« douleur neuropathique en 4 questions ») permet d’orienter vers le diagnostic de douleur neuropathique. Les traitements de première intention des douleurs neuropathiques incluent les antidépresseurs tricycliques (par exemple : amitriptyline 25-150 mg/jour), les antiépileptiques (gabapentine 1 200-3 600 mg/jour ou prégabaline 150-600 mg/jour), la duloxétine (60-120 mg/jour ; dans la polyneuropathie douloureuse du diabète) ou les emplâtres de lidocaïne (dans la douleur post-zostérienne, notamment chez les sujets âgés souffrant d’allodynie au frottement). Le tramadol peut être proposé en première intention en cas de forte composante nociceptive associée. La prescription d’opiacés forts est recommandée après échec des traitements de première intention, sous surveillance stricte. Les perspectives thérapeutiques pour l’année 2011 incluent les patchs de capsaïcine à haute concentration (8 %) en dispensiation hospitalière, tout au moins au début de leur commercialisation. 

 

 

La douleur neuropathique est définie comme une douleur initiée ou causée par une lésion primitive ou un dysfonctionnement du système nerveux. Il a été récemment proposé de définir comme douleur neuropathique toute « douleur secondaire à une lésion ou une maladie affectant le système somato-sensoriel». La douleur neuropathique témoigne donc d’une véritable pathologie des systèmes nociceptifs. Elle survient dans la zone « désafférentée » correspondant au territoire d’innervation de la lésion et est associée à un déficit parfois important de la sensibilité aux stimulations tactiles ou thermiques. Ainsi toute lésion du système nerveux périphérique (exemples : polyneuropathie du diabète, douleur post-zostérienne, lésions nerveuses – post-chirurgicales, sciatique chronique…) ou central (accident vasculaire cérébral, traumatismes médullaires, sclérose en plaques…) peut générer des douleurs neuropathiques. Ces douleurs sont caractérisées par une symptomatologie particulière ainsi que par leur tendance à la chronicité et leur caractère réfractaire aux antalgiques conventionnels. Cette revue fait le point sur l’épidémiologie générale, le diagnostic, l’évaluation et la prise en charge symptomatique des douleurs neuropathiques.

 

Épidémiologie générale

Récemment, une étude épidémiologique française a évalué pour la première fois la prévalence des douleurs neuropathiques en population générale au moyen de l’outil de dépistage DN4 (voir plus loin) [1]. Selon cette étude, qui s’est appuyée sur un échantillon représentatif de l’ensemble de la population générale française, la prévalence des douleurs chroniques est de 31 % en population générale et celle des douleurs ayant des caractéristiques neuropathiques de 6,9 %, avec une prévalence des douleurs neuropathiques d’intensité modérée à sévère de 5,1 %. Cette étude suggère fortement que la prévalence des douleurs neuropathiques chroniques a été largement sous-estimée en population générale.

 

Diagnostic et évaluation

Les douleurs neuropathiques se caractérisent par leur grande richesse d’expression sémiologique et associent généralement des douleurs continues (brûlures, sensations de froid douloureuses…) ou paroxystiques (décharges électriques, coups de poignard…), ainsi que des douleurs provoquées par des stimulations mécaniques (frottement, pression) ou thermiques (surtout froides) réalisant une « allodynie » (douleur évoquée par des stimulations normalement non douloureuses) ou une « hyperalgésie » (augmentation de la douleur évoquée par des stimulations normalement faiblement douloureuses). Ces symptômes qui différencient les douleurs neuropathiques des autres douleurs sont communs à l’ensemble des douleurs neuropathiques. Aussi, en pratique, le diagnostic du caractère neuropathique d’une douleur est exclusivement clinique. Les examens complémentaires sont en revanche nécessaires pour le diagnostic lésionnel et étiologique. C’est sur la base de cette constatation qu’ont été développés ces dernières années plusieurs outils de dépistage des douleurs neuropathiques, qui présentent de nombreux items communs. En France, l’outil de dépistage recommandé est le questionnaire DN4 (« douleur neuropathique en 4 questions ») [2]. L’étude de validation a permis d’établir qu’un score d’au moins 4 sur 10 permettait d’orienter vers le diagnostic de douleur neuropathique avec une excellente spécificité (89,9 %) et sensibilité (82,9 %), mais la partie « interrogatoire » de cet outil a également une bonne valeur diagnostique. Cet outil présente l’avantage d’une grande simplicité d’utilisation, permettant son emploi rapide en pratique clinique quotidienne.

 

Les outils de dépistage ont l’avantage de pouvoir être utilisés par le non-spécialiste pour reconnaître rapidement la composante neuropathique d’une douleur et mettre en route, le cas échéant, un traitement adapté. Ils ont aussi permis la réalisation d’études épidémiologiques dans le domaine des douleurs neuropathiques (cf. supra). Ces outils ne remplacent cependant pas le jugement clinique et il existe des faux positifs et négatifs. Ainsi ces outils n’ont de valeur que chez un patient douloureux, et non dysesthésique, et les items d’interrogatoire et d’examen clinique le cas échéant doivent se rapporter à la même zone douloureuse (si possible en cas de plusieurs zones douloureuses, la zone de douleur maximale) ; ainsi ils ne peuvent être appliqués que pour caractériser une seule douleur à la fois.

 

L’évaluation des douleurs neuropathiques constitue également une étape indispensable à la mise en route d’un traitement. Ces douleurs comportant une grande diversité de symptômes, dont la réponse aux traitements n’est pas nécessairement similaire, il est utile de les évaluer séparément. Plusieurs questionnaires spécifiques d’évaluation des symptômes ont été développés et validés, notamment le « Neuropathic Pain Symptom Inventory » (NPSI) [6]. Un des objectifs des questionnaires spécifiques des douleurs neuropathiques est, grâce à une évaluation plus fine des différents symptômes et dimensions de ces douleurs, de dégager des effets différentiels des traitements sur les différentes composantes de la douleur neuropathique (brûlure, douleur paroxystique, etc.) et d’identifier des sous-groupes de patients répondeurs aux traitements, dans  le but de réduire les échecs thérapeutiques. En outre, l’évaluation approfondie des symptômes spécifiques permet d’en suggérer les bases physiopathologiques.

 

Traitement pharmacologique

 

 

Les molécules

 

Les douleurs neuropathiques ne sont que peu ou pas soulagées par les antalgiques usuels. Les antidépresseurs tricycliques (amitritpyline [Laroxyl®], clomipramine [Anafranil®], imipramine [Tofranil®]) et certains antiépileptiques (gabapentine [Neurontin®], prégabaline [Lyrica®]) ont fait leur preuve dans plusieurs types de douleurs neuropathiques. La duloxétine (Cymbalta®) et la venlafaxine (Effexor®), antidépresseurs inhibiteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, le tramadol (Topalgie®, Contramal®, Zamudol®…) et les emplâtres de lidocaïne (Versatis®) ont une efficacité établie essentiellement dans une indication douloureuse (polyneuropathie du diabète pour la duloxétine, la venlafaxine et le tramadol ; douleur post-zostérienne pour les emplâtres de lidocaïne) [2, 5]. En revanche, les antidépresseurs sérotoninergiques (fluoxétine [Prozac®], paroxétine [Déroxat®]) ne sont pas ou peu efficaces et les neuroleptiques sont totalement inefficaces. L’efficacité des antiépileptiques bloqueurs des canaux sodiques est surtout validée dans le traitement de la névralgie faciale essentielle (carbamazépine [Tégrétol®], oxcarbazépine [Trileptal®]). Des résultats encourageants ont été rapportés par certaines équipes pour le valproate de sodium (Dépakine®) mais méritent d’être confirmés. Des résultats discordants ont été obtenus pour les antiépileptiques lamotrigine (Lamictal®) et topiramate (Epitomax®) et pour la capsaïcine en crème. Le clonazépam (Rivotril®) n’a pas fait l’objet d’études contrôlées dans le traitement des douleurs neuropathiques malgré une large utilisation en France contrairement aux pays anglo-saxons.

 

Les recommandations

Récemment, des recommandations professionnelles sur le traitement pharmacologique des douleurs neuropathiques ont été proposées en France (Société française d’étude et de traitement de la douleur) ainsi qu’au niveau Européen (European Federation of the Neurological Society) [2, 7]. En première intention, la prescription en monothérapie d’un antidépresseur tricyclique (exemple : amitriptyline 25-150 mg/jour) ou d’un antiépileptique gabapentinoïde (gabapentine 1 200-3 600 mg/jour ou prégabaline 150-600 mg/jour) est recommandée. Tous disposent d’une AMM douleur neuropathique (restreinte à la douleur neuropathique périphérique pour la gabapentine). Le choix entre ces classes thérapeutiques est fonction du contexte, des comorbidités associées, de leur sécurité d’emploi et de leur coût (moindre pour les tricycliques). La duloxétine (60-120 mg/jour) est recommandée en première intention dans la polyneuropathie douloureuse du diabète (où elle dispose d’une AMM) et le tramadol (100-400 mg/jour) dans les douleurs neuropathiques associées à une forte composante nociceptive associée à ces douleurs et en cas d’à-coups douloureux (sous forme d’association tramadol-paracétamol [Ixprim®, Zaldiar®]). Les emplâtres de lidocaïne (maximum trois emplâtres par 24 heures à appliquer sur la zone douloureuse pendant 12 heures) sont recommandés en première intention dans la douleur post-zostérienne (AMM), particulièrement chez les sujets âgés souffrant d’allodynie au frottement, mais ne sont, à ce jour, disponibles qu’en pharmacie hospitalière.

En cas d’échec complet ou d’effets secondaires importants d’un médicament de première intention, il est légitime de le substituer contre un traitement de l’autre classe thérapeutique (AD versus AE). En cas d’efficacité partielle d’un traitement de première intention, une association médicamenteuse peut être proposée entre médicaments de première intention de classe différente. 

La prescription d’opiacés forts est recommandée dans le traitement de la douleur neuropathique chronique persistante après échec des traitements de première intention utilisés en monothérapie et le cas échéant en association. Cette prescription doit s’entourer des précautions d’emploi usuelles des opiacés au long cours. Les situations thérapeutiques qui doivent conduire à adresser le malade aux spécialistes sont :

- échec d’un traitement bien conduit se définissant par :

• l’échec de plusieurs classes thérapeutiques différentes du fait d’une inefficacité aux doses maximales tolérées

ou d’effets indésirables, 

• efficacité modeste (< 30 % d’effet sur la douleur) d’une association médicamenteuse ;

- un abus médicamenteux ;

- un échec d’une initiation de traitement par morphiniques à des doses élevées (généralement > 120 mg/jour selon un

consensus d’experts). 

Les principales règles de prescription sont une augmentation progressive des posologies des traitements administrés par voie systémique avec une évaluation régulière de l’efficacité et de la tolérance. Un traitement ainsi débuté et efficace doit être poursuivi pendant au moins 6 mois.

 

Les traitements médicaux non pharmacologiques

- La stimulation électrique transcutanée peut être proposée en première intention (présomption d’efficacité) seule ou en association avec les traitements pharmacologiques en cas de douleurs neuropathiques périphériques notamment mononeuropathies douloureuses (par exemple, sciatique chronique, lésion nerveuse post-chirurgicale) ou polyneuropathies avec douleurs au niveau distal [4]. 

- La stimulation magnétique transcrânienne répétitive du cortex moteur n'est pas encore utilisable en routine mais apparaît efficace tout au moins à court terme dans le traitement des douleurs neuropathiques périphériques ou centrales [4].

 

Les perspectives thérapeutiques à court terme 

Récemment, l'efficacité à long terme (3 mois) d'applications uniques de patchs de capsaïcine à haute concentration (8 %) sur la zone douloureuse (pendant 60 ou 90 minutes) a été rapportée sur la douleur post-zostérienne et les neuropathies douloureuses du VIH [2]. Les patchs de capsaïcine ont obtenu une AMM européenne pour le traitement des douleurs neuropathiques périphériques non diabétiques, mais ne sont pas encore disponibles en France. L'intérêt de ces traitements réside dans leur faible risque d'effets indésirables systémiques et leur durée d'efficacité prolongée.

Cependant, l'application initiale, souvent très douloureuse, nécessite une surveillance du patient, de préférence en hôpital de jour, pendant l'application et l'utilisation de traitements antalgiques. D'autres traitements pharmacologiques sont potentiellement intéressants, comme la toxine botulinique A dont il a été rapporté l’efficacité au long cours après application sous-cutanée dans la zone douloureuse dans les douleurs de mononeuropathie et la neuropathie douloureuse du diabète [2]. Enfin, si certains cannabinoïdes (Sativex® en spray buccal) ont obtenu des résultats encourageants dans les douleurs neuropathiques de la sclérose en plaques, ils n’ont obtenu l’AMM que pour le traitement de la spasticité à ce jour.

 

Traitements invasifs

Certaines techniques plus invasives peuvent être proposées en cas d’échec des traitements pharmacologiques. C’est le cas des stimulations médullaires chroniques notamment validées dans les lomboradiculalgies chroniques postopératoires ou de la stimulation du cortex moteur dont les indications sont désormais élargies aux douleurs périphériques ou centrales réfractaires [4]. L’administration intrathécale d’analgésiques tels que la morphine, la clonidine, et plus récemment le ziconotide (Prialt®), bloqueur des canaux calciques spécifiques, peut aussi être proposée. La DREZtomie, lésion effectuée au niveau de la zone d’entrée de la racine postérieure de la moelle (dorsal root entry zone) impliquant un ou plusieurs segments médullaires, a sa place dans de rares indications (douleurs associées aux avulsions plexiques notamment).

 

 

Conclusion

Les douleurs neuropathiques peuvent être liées à un grand nombre de lésions nerveuses périphériques ou centrales. Malgré cette hétérogénéité, ces douleurs peuvent être considérées comme une entité indépendante du fait d’une symptomatologie commune, et relèvent en règle générale d’un traitement similaire quelle que soit l’étiologie. Les avancées cliniques depuis ces 10 dernières années ont comporté :

- le développement et la validation de nouveaux outils diagnostiques et d’évaluation de ces douleurs, permettant de réaliser des études épidémiologiques en population générale de ces douleurs et de mieux évaluer la réponse thérapeutique ;

- l’élaboration de recommandations thérapeutiques françaises et européennes fondées sur les preuves concernant tant les traitements pharmacologiques que non pharmacologiques;

- le développement de nouveaux traitements pharmacologiques notamment topiques.

 

 

Conflit d’intérêts

Le Dr Attal a reçu des honoraires de la part des laboratoires Pfizer, Lilly, Astellas, Grunenthal et Eisai au cours des 5 dernières années pour des conseils ou la réalisation d'études pharmacologiques.

 

Références

1. Bouhassira D, Lanteri-Minet M, Attal N, et al. Prevalence of chronic pain with neuropathic characteristics in the general population. Pain 2008 ; 136 : 380-7. 

2. Attal N, Cruccu G, Baron R, et al. EFNS guidelines on the pharmacological treatment of neuropathic pain. 2009. Eur J Neurol 2010 ; 17 : 1113-e88.

3. Bouhassira D, Attal N, Alchaar H, et al. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4). Pain 2005 ; 114 : 29-36.

4. Cruccu G, Aziz TZ, Garcia-Larrea L, et al. EFNS guidelines on neurostimulation therapy for neuropathic pain. Eur J Neurol 2007 ; 14 : 952-70.

5. Dworkin RH, O’Connor AB, Backonja M, et al. Pharmacologic management of neuropathic pain : evidence-based recommendations. Pain 2007 ; 132 : 237-51.

6. Haanpää M, Attal N, Backonja M, et al. NeuPsig guidelines on neuropathic pain assessment. Pain 2010 (sous presse).

7. Martinez V, Attal N, Bouhassira D, Lanteri-Minet M pour la Société française d'étude et de traitement de la douleur.

Les douleurs neuropathiques chroniques :diagnostic, évaluation et traitement en médecine ambulatoire. Recommandations pour la pratique clinique de la Société française d'étude et de traitement de la douleur. Douleurs 2010 ; 11 : 3.

 

 

Article publié sur Webneurologie.com en Septembre 2010

 

 

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